Diamanda Galas @ Villette Sonique

Publié le par Gwendal

Voilà donc que Diamanda Galas revient à la Villette - revient, puisqu'elle était déjà passée il y a deux ans, et le fait est d'importance puisqu'une bonne partie de son public, lui aussi, revient.

Ledit public doit patienter pendant deux premières parties, Villette Sonique étant un festival, à commencer par Bo Ningen, quatre japonais furieusement drôles qui compensent un certain manque de réel talent par une relecture à tombeau ouvert de tout ce qui fait du bruit depuis Black Sabbath. On pense très fort à Spinal Tap, mais comme ça fait longtemps qu'on n'a pas eu autant envie d'entendre du gros bruit qui décolle la peinture du plafond, voilà déjà l'EP "Koroshitai Kimochi" en cours de téléchargement (même pas 4 euros, on aurait tort de se priver).

 

Bo Ningen est suivi du traditionnel ballet des roadies installant le matériel. Il y a quelque chose de fascinant à les regarder pousser les flycases sur roulettes à travers la scène (renvoi à l'un des moments de Kaguyahime d'ailleurs, sauf qu'ici il n'y a pas de miroirs au dos), rappelant que la musique électrique est aussi celle d'une époque où les choses étaient visibles : gros haut-parleurs, amplis, guitares voyantes, des câbles partout, Tesla aurait été content. Le tout au son d'Add N To X, eux-mêmes grands apôtres de l'électronique visible et du beau synthé qui se regarde presque autant qu'il s'écoute.

 

Les roadies d'ailleurs qui passent finalement beaucoup de temps à installer le peu d'équipement du duo français Programme. Ces deux messieurs me font penser immédiatement à Diabologum époque "#3", et en creusant ce n'est pas un hasard puisqu'ils en sont tous deux issus ; les bribes de paroles qu'on parvient à entendre semblent creuser un sillon politico-introspectif inspiré des scènes slam, avec grosses guitares à l'appui. C'est cruellement ridicule, et ils parviennent à faire un joli vide dans la salle. On aimerait les absoudre en rejetant la faute sur la balance, mais à l'écoute des titres entendus en studio, finalement il vaut mieux ne pas entendre les paroles... Du coup je réécoute Henry Rollins.

 

Leur concert donne d'ailleurs l'occasion de voir un autre beau ballet, celui des appareils photo : tous sont représentés, du petit téléphone (en fait assez adapté aux prises de vues en concert, grâce à des focales ultra-courtes) au duo de gros reflex avec telezooms, et c'est étrange de se dire que certains vont passer plus de temps de concert à jouer avec leur iPhone qu'à vraiment écouter la musique. Sans d'ailleurs la moindre gêne, les flashes crépitent, et c'est un petit festival d'écrans rétro-éclairés et de lumières de mise au point rouges. Mon voisin de concert pour Diamanda Galas ira même jusqu' à prendre des photos (entre deux roupillons) avec son iPhone ET avec son petit compact.

Et on s'étonne que je n'aime pas les gens.

 

À ce dernier constat quelques exceptions notables, dont Diamanda Galas donc : j'ai commencé à l'écouter époque Malediction & Prayer, lorsqu'à son répertoire blues de "The singer" elle osait agripper, tordre et distordre des classiques de Dozier/Holland/Dozier : la souffrance cachée sous les robes en lamé des Supremes et les arrangements au millimètre de la Motown. Depuis elle a achevé de recentrer son répertoire autour de la Méditerranée ; aux noms grecs et espagnols croisés de longue date se sont ajoutés des noms arabes, et dans un mouvement amorcé en chantant Johnny Cash, les références relativement élitistes (René Char hier, Constantin Cavafy aujourd'hui) laissent plus de place à la réappropriation de morceaux du répertoire populaire : Brel, Oum Kalsoum, Marinella...

 

Diamanda Galas évoque toujours les brumes d'Albion, entre banshee annonciatrice de mort et sorcière shakespearienne, mais via le port d'Amsterdam elle est revenue à des rivages où le piano le plus percussif (voire littéralement percuté à coup de bracelet métallique) s'accompagne désormais d'ululations arabisantes (ledit bracelet a d'ailleurs parfois de curieux tintements de femme arabe). Sa voix se voile au fil des ans, prend une arrière-teinte plus rauque, mais la douleur omniprésente est toujours aussi nue et violente. Elle chante la douleur, la mort et le désespoir comme personne, convoque la pleureuse ; la sibylle, aussi, et comme pour cette dernière très souvent les paroles des chansons sont incompréhensibles, c'est aussi qu'elle se situe très au-delà de ce niveau de communication. En 2008 elle avait joué dans la grande salle de la Cité de la Musique : scène étroite, murs de bois ; cette année c'est la Grande Halle, vaste hangar (du perse "angaros" paraît-il, "le courrier", lieu où s'arrêtait le messager) métallique où tout résonne, qu'elle est venue jouer son rôle d'ange - du même mot perse, l'ange, messager de Dieu ou des Dieux.

 

(étymologies contestables mais fauchées chez Ponge, qui n'a manifestement pas la même édition que moi du Littré, mais qui est poète et le poète a toujours raison)

Publié dans Théâtre

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